1. Des populations remarquables et uniques en Méditerranée
Durant les deux dernières décennies, de nouvelles populations de gorgones rouges (P. clavata) ont été décrites entre 50 m et 60 m de profondeur au sein du site Natura 2000 « Côte Bleue Marine ». Ces populations vivent de manière très éparse sur des affleurements rocheux couvrant une zone d’environ 2300 ha. La zone est soumise à l’influence du Rhône et peut connaître d’importants upwellings saisonniers.
Par leur taille pouvant atteindre 1.80 m, et leur densité (entre 14 et 25 colonies/m²), ces populations sont remarquables en comparaison avec les populations retrouvées ailleurs en Méditerranée. La taille exceptionnelle de ces gorgones reste aujourd’hui inexpliquée. Est-ce un effet combiné de l’importante disponibilité en nourriture charriée par le Rhône et les upwellings, et de la faible courantologie de la zone ? Ou bien est-ce le résultat d’une plasticité phénotypique liée aux conditions environnementales ou des caractéristiques génétiques particulières ? Autant de questions auxquelles nous essayons d’apporter des réponses.
2. Un refuge climatique pour l’espèce face au changement global ?
Les températures enregistrées sur la zone des Catchoffs montrent un régime thermique assez stable durant l’hiver, avec des températures situées autour des 13°C-14°C, et des pics de températures pouvant atteindre un peu plus de 20°C sur des périodes courtes (environ 2 semaines maximum) durant l’automne. Les populations de gorgones rouges des Catchoffs sont donc aujourd’hui à l’abri des vagues de chaleur marines et des événements de mortalité massive, et pourraient constituer un refuge climatique pour l’espèce.
Mais en réalité, les données récoltées montrent que la faible taille effective des populations, combinée avec leur isolation génétique, ne soutiennent pas l’hypothèse de refuge climatique.
De plus les populations de gorgones rouges des Catchoffs sont impactées par les activités anthropiques. Les résultats et les observations soutiennent le besoin de renforcer la protection de ces populations uniques tant d’un point de vue démographique que génétique.
3. Des populations impactées par les pressions anthropiques
La principale pression anthropique impactant les populations de gorgones rouges des Catchoffs est la pêche de plaisance. Bien que de nombreux filets ou restes de chaluts soient retrouvés sur les fonds et impactent les populations de gorgones, la principale pression vient de la pêche de plaisance, avec jusqu’à 100 embarcations recensées par jour lors de la saison de pêche à la daurade. Malgré la profondeur dépassant les 50 m, les plaisanciers ancrent parfois leurs embarcations en utilisant un mouillage équipé d’une bouée coulissante sur la ligne (mouillage dit « à la marseillaise »). Le rôle de la bouée est de stopper le mouillage en surface lorsque les pêcheurs utilisent leur embarcation pour tirer l’ancre et la remonter contre la bouée, ce qui facilite la récupération du mouillage. Néanmoins, cette méthode de mouillage est dévastatrice pour les fonds marins puisque l’ancre et la chaîne raclent le fond avant d’être remontées en surface. Bien que les plaisanciers soient de plus en plus équipés de moteurs avec positionnement dynamique, et que les gestionnaires du Parc Marin de la Côte Bleue proposent aux pêcheurs une autre méthode de mouillage moins destructrice pour les populations de gorgones, nombreux sont les pêcheurs utilisant encore cette technique dévastatrice.
Bien que les populations de gorgones des Catchoffs soient pour le moment à l’abri des effets du changement climatique, une gestion efficace des activités humaines impactant directement les populations de gorgones est fortement nécessaire pour aider à préserver ces populations de gorgones remarquables.
4. La science au service de la préservation des populations de gorgones
Dans l’objectif d’agir en faveur de la préservation des populations de gorgones de la zone des Catchoffs, plusieurs protocoles scientifiques sont mis en place :
1. L’étude des populations de gorgones rouges et de leur état de santé est réalisé directement en plongée. Les plongeurs utilisent des quadrats d’une dimension de 50 cm x 50 cm, au sein desquels ils recensent le nombre de colonies, leur taille, et leur état de santé (éventuelle présence de nécrose récente ou ancienne). Ces données permettent de comparer entre elles les populations en termes de densité moyenne, biomasse moyenne, répartitions en classes de taille, et dynamique de croissance.
2. L’exploration de sites non décrits scientifiquement est réalisée directement en plongée ou à l’aide d’un ROV (Remote Operated Vehicle). L’utilisation de la plongée en recycleur et de propulseurs sous-marins permet d’optimiser le temps de travail passé au fond et d’augmenter la distance parcourue, permettant une appréciation et une première description du site par les plongeurs.
L’utilisation du ROV permet de multiplier le nombre d’immersions sur une journée et d’explorer de manière plus dense la zone des Catchoffs afin de valider ou invalider la présence de gorgones sur une liste de sites prédéfinie. Le ROV pouvant embarquer une caméra HD et un système de stéréo-photogrammétrie, il est également possible de réaliser des enregistrements vidéos et des modélisations 3D des fonds afin d’en obtenir une illustration et une description plus poussée.
Le couplage ROV et plongée en recycleur permet alors de rendre plus efficace l’exploration de la zone, en envoyant les plongeurs sur des sites préalablement explorés au ROV, et d’optimiser les plongées et le temps passé en immersion.
3. Le recensement des traces de pressions anthropiques est réalisé directement par les plongeurs ou à l’aide des enregistrements vidéos du ROV. Cela permet de mettre en lumière les impacts sur la zone des Catchoffs et d’obtenir des données permettant d’agir en faveur de la protection de la zone.
4. La réalisation de prélèvements de fragments de gorgones rouges permet de poursuivre l’étude génétique des populations. L’accent est mis sur la compréhension des phénomènes amenant ces colonies à arborer des tailles aussi importantes, et sur la cartographie des échanges et de la connectivité entre les populations de la zone des Catchoffs, et avec les populations extérieures.
Zoom sur les zones mésophotiques
La zone mésophotique, est la zone de profondeur située entre 30 m et 200 m de profondeur en fonction de la lumière qui y parvient. Son nom vient du grec “meso” pour « moyen » et « photic » pour “lumière”, évoquant une zone où la lumière pénètre de manière modérée.
Cette zone demeure l’une des moins connues et protégées de l’océan global. Pourtant, les habitats qu’elle abrite sont souvent plus affectés par les activités anthropiques, notamment par la pêche, que la zone de surface.
La zone mésophotique s’étend sur environ 5 % de la surface océanique, soit davantage que la zone de surface (2 %), et se situe à plus de 99 % à l’intérieur de nos zones économiques exclusives. Cette zone joue un rôle primordial en tant que véritable hotspot de biodiversité, servant de zone de reproduction et d’alimentation pour d’importants stocks de poissons, abritant une multitude d’espèces encore non décrites, et constituant un espace de transition et de continuité écologique entre les écosystèmes côtiers et profonds. De plus, elle joue un rôle important dans le cycle du carbone océanique et offre un refuge potentiel pour les espèces côtières confrontées à des pressions environnementales et anthropiques de plus en plus fortes.
La protection des zones mésophotiques et la préservation des habitats qu’elles abritent sont essentielles pour conserver une continuité écologique et un bon fonctionnement du socio-écosystème global dont l’être humain fait partie intégrante.
Pour en savoir plus
Publication scientifique en lien :
http://Sartoretto S, Ledoux JB, Gueret E, Guillemain D, Ravel C, Moirand L, Aurelle D (2023) Ecological and genomic characterization of a remarkable natural heritage: a mesophotic ‘giant’ Paramuricea clavata forest. Mar Ecol Prog Ser :SHIFTav8. https://doi.org/10.3354/meps14427
Site web zone Natura 2000 :
https://cotebleuemarine.n2000.fr/
Fiche INPN zone Natura 2000 :
https://inpn.mnhn.fr/site/natura2000/FR9301999
Site web Parc Marin de la Côte Bleue :
https://parcmarincotebleue.fr/
Fiche espèce gorgone rouge (Paramuricea clavata) :
https://www.marinespecies.org/aphia.php?p=taxdetails&id=125387