Le réchauffement climatique impacte fortement les écosystèmes marins du monde entier, et c’est d’autant plus vrai en Méditerranée, qui constitue un « point chaud » de biodiversité, mais concentre également les effets du changement climatique. En 2022, l’ensemble du bassin méditerranéen a été frappé par une vague de chaleur marine record, qui a persisté quasiment sans interruption d’août à octobre 2022. Cette vague de chaleur s’est concrétisée par des températures supérieures à la moyenne au niveau de la masse d’eau superficielle (0 à 30 m), persistantes durant cette période. Elle a eu des impacts dramatiques sur le coralligène, une biocénose endémique de Méditerranée qui comprend notamment des éponges et des anthozoaires tels que le corail rouge Corallium rubrum et les gorgones rouges Paramuricea clavata, blanches Eunicella singularis et jaunes Eunicella cavolini. Le coralligène joue un rôle majeur dans la biodiversité méditerranéenne et offre habitat et protection à grand nombre d’espèces commerciales, notamment de poissons. A ce titre, sa préservation est cruciale pour le maintien de l’économie et du patrimoine culturel local.
Lors de la vague de chaleur de 2022, les organismes fixés du coralligène ont subi un épisode de mortalité massive. Dans le Parc national des Calanques, en moyenne ce sont 69% des colonies de gorgones rouges et 44% des colonies de corail rouge recensées qui ont été touchées par cet événement de mortalité massive. Dans les tranches de profondeurs situées entre la surface et 20 m, ce sont 80% des colonies de gorgones rouges qui ont été touchées par des nécroses récentes. On dénombre jusqu’à 90% de mortalité des gorgones rouges sur certains sites et ce jusqu’à 30 m de profondeur. Ces mortalités ont été observées sur tout le pourtour de la Méditerranée Nord Occidentale, de l’Espagne à l’Italie en passant par la France. L’abondance des populations de gorgones rouges avait déjà été réduite par les précédentes vagues de chaleur enregistrées en 1999, 2003, 2006, 2009, 2014 et 2018.
Afin d’étudier plus en détail l’impact des vagues de chaleur sur la distribution et l’état de santé du coralligène, l’institut de recherche et de formation en écologie marine Septentrion Environnement a procédé à des observations, des comptages et des collectes de gorgones et de corail rouge sur 26 sites au sein du Parc national des Calanques, le long d’un gradient de profondeur allant de la surface jusqu’à 40 m de profondeur. Des observations visuelles ont également été réalisées au sein du Parc marin de la Côte Bleue, du Parc national de Port-Cros, de la Réserve Naturelle de Scandola, et autour du Cap Sicié. Les observations et échantillons récoltés sont maintenant analysés par un consortium international regroupant différents laboratoire, unités de recherche et gestionnaires :
– Marine Biodiversity Exploitation and Conservation (MARBEC; Université de Montpellier, IFREMER, IRD, CNRS): https://umr-marbec.fr/
– Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO) et OSU Pythéas (CNRS, Aix-Marseille Université): https://www.mio.osupytheas.fr/fr
– Centre Scientifique de Monaco : https://www.centrescientifique.mc/fr
– Instituto de Ciencias del Mar (ICM) – CSIC : https://www.icm.csic.es/en
– CIIMAR (Centro Interdisciplinar de Investigação Marinha e Ambiental, Porto, Portugal) : https://www2.ciimar.up.pt/
– IFREMER La Seyne sur Mer : https://www.ifremer.fr/fr
– Septentrion Environnement : https://www.septentrion-env.com/
– Parc national des Calanques : http://www.calanques-parcnational.fr/fr
L’objectif de ce projet collaboratif est de mieux comprendre les paramètres responsables du déclenchement des épisodes de mortalités chez les gorgonaires méditerranéens et d’étudier l’origine de la diversité de réponse observée entre populations, espèces et individus. Pour cela nous avons adopté différentes approches complémentaires :
– caractérisation de l’étendue des mortalités et du régime thermique associé ;
– conséquences à l’échelle des populations et communautés ;
– étude des modifications de communautés des microorganismes (bactéries, champignons, virus) associés aux gorgones. Comme pour l’homme, pour lequel les microorganismes jouent un rôle clé dans la digestion et le bon fonctionnement intestinal, les microorganismes des gorgones sont importants pour leur bonne santé. La vague de chaleur pourrait avoir fait disparaître les “bons micro-organismes” au profit de pathogènes responsables des mortalités ;
– étude transcriptomique et protéomique des gorgones lors de l’épisode de mortalité: quelles modifications physiologiques se mettent en place et comment varient-elles en fonction de l’environnement et des individus?
– analyse de la diversité génomique des populations: peut-on identifier des variations génétiques qui seraient corrélées à une meilleure résistance aux vagues de chaleur?
